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Photo du rédacteurClémence Brun

Esprit critique en contexte d’incertitude : le sujet de ma thèse

Dernière mise à jour : 17 déc. 2021



Vous êtes peut-être déjà tombé·e sur un de mes articles, sans forcément connaître mon rôle au sein d’AD-HOC Lab. Laissez-moi vous présenter mon travail et mes recherches !

 

Quand la science s’invite en entreprise


J’ai posé mes valises chez AD-HOC Lab début 2020 pour y effectuer mon stage de fin d’études en Psychologie sociale. L’une de mes missions était notamment la rédaction d’articles établissant des ponts entre la recherche en psychologie et son implémentation dans les milieux organisationnels. Le fruit de ce travail est d’ailleurs toujours disponible ici ;) . Et si vous les avez appréciés, sachez que d’autres articles seront bientôt disponibles !


Je souhaitais poursuivre mes études en réalisant une thèse de doctorat, et une opportunité de construire ensemble un projet s’est offerte à nous. Pour ceux qui ont lu mes premiers articles, la thématique autour de laquelle se situe ma thèse ne sera pas une surprise : il s’agit du développement de l’esprit critique !

 

Esprit, es-tu là ?


“Il croit tout ce qu’il entend lui, 0 esprit critique !”. On a tous·es notre petite définition de ce qu’est l’esprit critique. Pourtant, même les chercheurs ont beaucoup de difficultés pour se mettre d’accord sur une définition claire !


Mais il y a un point sur lequel tous s’entendent : il s’agit d’une des compétences nécessaires dans nos vies quotidiennes en cette ère de mondialisation. En ce qui me concerne, je me réfère notamment à la définition de Halpern (1998) : “La pensée critique fait référence à l'utilisation de compétences ou de stratégies cognitives qui augmentent la probabilité d'un résultat souhaitable. La pensée critique est intentionnelle, raisonnée et orientée vers un objectif. C'est le type de réflexion qui permet de résoudre des problèmes, de formuler des déductions, de calculer les probabilités et de prendre des décisions”. Cette compétence permet notamment d’assurer un traitement optimal des informations et donc des prises de décisions raisonnées. C’est pour cette raison que l’un des principaux défis liés à l’esprit critique est son développement : comment cultiver cette compétence chez le plus grand nombre ? Une petite recherche sur Google Scholar vous suffira pour trouver pléthore d’études qui portent sur le développement de cette compétence, notamment chez les plus jeunes. Ainsi, la plupart des programmes de développement de l’esprit critique sont menés auprès d’étudiants ou d’enfants, et montrent des résultats globalement bons ! On comprend pourquoi ce domaine de recherche a le vent en poupe ces temps-ci, surtout en période de pandémie mondiale où les fake news pullulent !

 

Cependant, mes recherches ne portent pas sur les fake news actuellement. Je m’intéresse plus précisément à l’esprit critique dans le domaine de la santé.



 

Pilule bleue ou pilule rouge ?


Faire preuve d’esprit critique, cela fait souvent penser à des débats concernant des médicaments controversés ou encore des faits historiques. Mais faire preuve d’esprit critique, en particulier pour un soignant, cela peut aussi ressembler à “Est-ce que c’était bien une tendinite ?”.


Pour les professionnels de santé, exercer son esprit critique revient à faire preuve d’un “bon raisonnement clinique”. Ce raisonnement est défini comme le processus de réflexion et de prise de décision intégré dans la pratique clinique des soins aux patients. Il est primordial puisqu’il peut mener deux praticiens à établir des diagnostics différents, et donc à proposer des traitements diamétralement opposés, pour des résultats plus ou moins bons. Mes recherches portent sur le développement d’un raisonnement clinique juste (par exemple, comment faire pour que les professionnels de santé pensent à toutes les alternatives plutôt que de diagnostiquer une rhinopharyngite à tous leurs patients ?).


 

Les différences en matière de raisonner de deux praticiens peuvent notamment dépendre de leur intolérance à l’incertitude.


 

Aller au plus simple face au doute


L’intolérance à l’incertitude est un concept qui ne vous est sûrement pas très familier si vous n’avez pas traîné sur les bancs d’une fac de psychologie. Il s’agit d’un facteur qui s’avère être déterminant lors de nos prises de décisions, et ce notamment parce qu’il est à l’origine de différences interindividuelles dans les situations de résolution de problèmes. L’intolérance à l’incertitude, c’est simplement le fait de ne pas aimer les situations incertaines. Exemple : vous savez que votre cousine vous rendra visite la semaine prochaine. Elle ne vous a pas donné plus de précisions. Viendra-t-elle lundi midi, jeudi soir, ou dimanche après-midi ? Personne ne le sait. Certaines personnes trouvent cette situation très inconfortable, voire insupportable : elles sont fortement intolérantes à l’incertitude. D’autres n’en feront pas tout un fromage : elles sont faiblement intolérantes à l’incertitude (ou plutôt tolérantes à l’incertitude).


Pour en revenir aux soignants, certains ne seront pas chamboulés s’ils détectent des symptômes contradictoires durant une consultation. D’autres, plus intolérants à l’incertitude, seront très perturbés. Ces différences interindividuelles peuvent avoir des conséquences sur leur raisonnement médical. Des chercheurs comme Ladouceur et son équipe (1997) ont notamment suggéré que prendre une décision dans une situation d’incertitude modérée peut mener ces individus intolérants à l’incertitude à se concentrer sur leur réactions émotionnelles, au détriment parfois du patient. Ils essaient de réguler leurs émotions et de moins s’attacher à l’exactitude du diagnostic. Ils prennent rapidement les décisions (le diagnostic) et peuvent mettre de côté les informations contradictoires et donc inconfortables.


Il est alors tentant de se dire qu’en contexte d’incertitude, ils devraient se rassurer en prescrivant des examens complémentaires pour diminuer l’incertitude. Sauf que des recherches ont montré que les personnes fortement intolérantes à l’incertitude ont moins de chances de changer leur point de vue face à de nouvelles informations en comparaison à des personnes faiblement intolérantes. Cela implique que des médecins fortement intolérants à l’incertitude pourraient, par exemple, ignorer la toux “surprenante” de votre tante et lui diagnostiquer un rhume, plutôt que de creuser la piste d’un cancer de la gorge.


Mais où est l’esprit critique dans tout cela ?


 

Apprendre à réfléchir pour mieux soigner


Nous arrivons ici au nœud qui lie les différents concepts de ma thèse : esprit critique, raisonnement médical, et intolérance à l’incertitude. Je m’efforcerai durant ma thèse d’étudier les liens reliant ces concepts, et j’aimerais, à l’issue de mes recherches, imaginer voire créer un outil permettant de contribuer au développement de l’esprit critique chez les soignants.


Je communiquerai sur ces sujets durant différents événements scientifiques afin d’échanger sur mes découvertes et d’enrichir mes recherches. Je travaille également sur différents projets connexes, notamment sur le bien être des soignants et son impact sur leur relation aux patients. Une communication sur un article scientifique que nous avons rédigé chez AD-HOC Lab en collaboration avec l’AP-HP sera d’ailleurs bientôt présentée au World Congress of Nephrology à ce sujet !



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