Tout un chacun peut en témoigner : avoir peu d’influence sur ses collègues peut être source de stress.
L’article « Women in power‑themed tasks: Need for power predicts task enjoyment and power stress » de Hofer et Busch (2019) fournit quelques clés de compréhension de ce phénomène et nous explique comment s’en servir pour réduire le stress de ses collaborateurs.
Pas tous égaux face aux responsabilités
Nous sommes tous différents. Certains aiment avoir des responsabilités et diriger des équipes, tandis que d’autres se contentent très bien de postes impliquant des responsabilités limitées. Selon Winter (1973), ceux qui aiment diriger ont un besoin plus fort d’influencer les autres, c’est à dire en quelque sorte, d’avoir du pouvoir. On peut l’expliquer par le concept de « power motive » : lorsqu’une personne a un « power motive » élevé, elle est motivée pour atteindre des postes lui permettant d’influencer et de contrôler les autres. Ce degré de motivation est stable et dépend en grande partie des expériences que nous avons vécu durant notre enfance.
Le « power motive » est un besoin individuel plus ou moins important de pouvoir, d’influence sur les autres. Certaines personnes ont un « power motive » élevé : elles ont un fort besoin d’influencer les autres et vont rechercher des opportunités de le faire.
Nous allons décrire quelques caractéristiques typiques des personnes ayant un « power motive » important : à vous de voir si cela vous évoque un collègue (ou vous-même). Selon Schultheiss et Hale (2007), ces personnes ont tendance à concentrer leur attention vers les visages qui renvoient quelque chose d’inoffensif (par exemple un collègue au visage enfantin) et à ne pas prêter beaucoup d’attention aux visages plus intimidants (comme un collègue aux traits durs qui n’a pas l’air très commode). Les personnes ayant un « power motive » important participent aussi souvent à des activités permettant d’influencer les autres. On les retrouve notamment fréquemment dans des activités politiques.
Cependant, puisque ces personnes ayant un « power motive » élevé aiment pouvoir influencer les autres, elles ont tendance à être stressées dans les situations qui ne leur permettent pas de le faire.
Peu de pouvoir = stress
Prenez un de vos collègues qui aime beaucoup influencer les autres et placez-le dans une situation où il est impuissant. Il y a fort à parier qu’il sera au moins contrarié, au pire insupportable. Votre collègue souffrira alors de ce que les chercheurs appellent le « power stress ». Le « power stress » apparait dans toutes les situations qui donnent à un individu l’impression qu’il va effectivement – ou dans un potentiel futur proche – être empêché de satisfaire son envie d’influencer les autres. Fodor et ses collaborateurs (2012) ont par exemple montré que si vous êtes une femme plutôt affirmée et sûre de vous, vous aurez tendance à stresser les hommes ayant un « power motive » élevé (en comparaison à ceux ayant un faible « power motive »).
Les femmes qui aiment le pouvoir sont aussi stressées que les hommes
Le power motive a été étudié à de nombreuses reprises sur les hommes. Quid des femmes ? Hofer et Busch (2019) se sont demandés s’il existe des différences entre les femmes ayant un « power motive » élevé et celles ayant un faible « power motive ». Ils pensaient notamment que des femmes ayant un « power motive » important allaient 1) ressentir plus d'émotions négatives, 2) avoir une opinion plus négative envers une personne impossible à influencer, 3) davantage éviter leur entourage dans les situations où elles ne pouvaient pas l'influencer– en comparaison aux femmes ayant un faible « power motive » ou aux femmes n’étant pas gênées dans la satisfaction de leur « power motive ».
Pour chaque étude, Hofer et Busch ont d’abord fait passer un questionnaire à des jeunes femmes pour déterminer si elles aimaient influencer les autres ou pas (ont-elles un « power motive » élevé ou pas ?). S’en suivait une ribambelle d’activités plutôt amusantes (si vous aimez les petits pois). Dans une des études, des jeunes femmes ont visionné une vidéo dans laquelle quelqu’un cachait un pois en dessous d’un gobelet (le fameux jeu du bonneteau). Elles avaient ensuite pour tâche de convaincre une autre personne de l’emplacement du pois (« Si je t’assure il est bien sous le gobelet de gauche ! »). Cette personne à convaincre, présentée comme un autre participant, était en fait un compère des expérimentateurs (c’est à dire une personne travaillant avec les expérimentateurs pour duper les participants). L’étude présentait deux cas de figure. Dans le premier cas, le compère avait pour tâche de faire semblant de ne pas être convaincu au premier coup de l’emplacement du pois mais d’accepter ensuite le conseil de la participante à chaque reprise. Dans l’autre condition, le compère refusait les conseils à chaque reprise (cas de figure insupportable pour quelqu’un qui aime influencer les autres). Les participantes remplissaient ensuite un questionnaire qui mesurait leurs émotions négatives ainsi que leur identification au rôle qui leur avait été assigné.
Les résultats ont montré que les femmes ayant un « power motive » élevé ressentaient plus d'émotions négatives lorsqu'elles pensaient avoir échoué à la tâche. Cet effet n’était pas observé chez les femmes ayant un faible power motive ou celles pensant avoir réussi la tâche.
Dans une autre étude, Hofer et Busch ont donné à des jeunes femmes la description d’un jeune homme à lire. Dans un cas l’homme décrit était « affirmé » et aimait influencer les autres ( « Oui c’est vrai que je me retrouve souvent au centre de l’attention […] Dans la vie moi je ne fais pas de compromis »). Dans l’autre cas de figure, l’homme décrit n’aimait pas se faire remarquer (« Je déteste me retrouver au sein d’un conflit […] Souvent on ne me remarque pas trop »). Ensuite, les auteurs ont demandé directement aux participantes (donc de manière explicite) d’évaluer leurs émotions.
Les résultats ont montré que les femmes ayant un « power motive » élevé percevaient plus négativement le jeune homme affirmé, qui leur paraissait surement difficile à influencer (pas très satisfaisant pour elles).
Maintenant, imaginez que vous êtes un recruteur pour une entreprise qui a besoin d’envoyer un employé dans un pays connu pour son insécurité. Comment convaincre un candidat qui vous répète qu’il n’a aucune envie de risquer sa vie là-bas ? Des jeunes femmes ont été confrontées à cette situation dans une autre étude de Hofer et Busch (2019). Elles devaient convaincre un candidat (encore un compère) - plutôt arrangeant dans un cas et plutôt insupportable et très au courant des risques dans l’autre cas - de prendre le poste. Les participantes passaient ensuite un test permettant de mesurer les émotions de façon implicite (sans qu’elles ne sachent que l’on cherche à mesurer leurs émotions).
Les résultats ont montré que dans une situation où elles ont peu d’influence, les participantes ayant un « power motive » important ressentaient plus d’émotions négatives envers le compère, cette fois-ci à un niveau implicite.
Enfin dans une dernière étude, des jeunes femmes devaient regarder des images puis se souvenir de détails sur ces images. Dans un cas de figure, l’expérimentatrice (la femme qui s’occupait de faire passer l’étude) était souriante et chaleureuse. Dans l’autre cas de figure, ces femmes ont probablement regrettées leur participation car l’expérimentatrice était froide et ne souriait jamais. Des personnes externes ont ensuite relevé et annoté chaque froncement de sourcils des participantes durant leur échange avec l’expérimentatrice au cours de la tâche.
Les résultats ont montré que les participantes avec un « power motive » élevé fronçaient plus les sourcils face à l’expérimentatrice peu commode
(par rapport à celles ayant un « power motive » élevé face à une expérimentatrice agréable ou celles ayant un faible « power motive » face à n’importe quelle expérimentatrice).
Changer les choses avec des gestes simples
Cette série d’études démontre que les femmes qui ont un « power motive » élevé ont des réactions similaires à celles observées sur des hommes dans de précédentes études, face à des situations dans lesquelles elles ne peuvent pas influencer les autres. Par rapport à des femmes ayant un faible « power motive » ou à des femmes que l’on n’empêche pas d’influencer les autres, ces femmes qui ont un « power motive » important :
ressentent plus d'émotions négatives,
évaluent plus négativement des personnes sur lesquelles elles ne parviennent pas à avoir une influence,
ont plus d'opinions négatives implicites et explicites envers une personne résistant à leur influence,
froncent plus des sourcils (expressions faciales de détresse et de colère) face à une personne difficile à influencer.
En somme, les individus ayant fortement besoin d’influencer les autres ressentent du stress lorsqu’ils ne peuvent pas satisfaire ce besoin. On parle de power motive non satisfait, donnant lieu à du power stress.
Même si n’avons pas tous la possibilité ou le temps de bouleverser l’organigramme de notre entreprise pour donner à chacun un poste qui lui permette de satisfaire son niveau de power motive, nous avons tous des armes au quotidien pour générer des petites satisfaction de notre power motive et améliorer notre bien-être et notre productivité - ou le bien-être et la productivité de nos collègues. Avoir un rôle précis lors d’une réunion (comme l'animation ou le timekeeping), ou une responsabilité simple mais utile comme choisir le restaurant dans lequel sera organisé un repas d’affaire, effectuer l'ultime relecture d’un mail important, ou présenter un projet en public ... Autant d’actions faciles et concrètes qui peuvent aider à améliorer le bien-être d’une personne ayant un « power motive » élevé.
Plus globalement, il s’agit de trouver des tâches dans lesquelles un « power motive » élevé pourra être satisfait : des tâches qui confèrent de l'influence sur son entourage.
L'article complet de Hofer et Busch est consultable sur le site de Motivation and Emotion.
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